Nous nous sommes loupés, Trop Belle ! Nous nous sommes loupés, et ça restera le plus beau ratage de ma vie…
C’est des larmes plein les yeux que je t’écris, car je viens d’apprendre que la vie que tu t’ étais choisie, a eu raison de toi, et a fini par te tuer.
Et, c’est elle, odieux masque ricanant, qui vient de me l’apprendre. Elle, dont l’image que je m’en faisais, à l’époque, quand je te rencontrai, m’interdisait d’avoir tout commerce avec Toi.
Sur le moment, j’acceptai le cœur léger, avec l’assurance et la désinvolture que confèrent les certitudes imbéciles, ce diktat… personne ne nous apprend jamais le doute… je t’assignai, alors, la qualité de ce que je voulais que tu sois: une belle fille de plus… une très belle fille… une autre, dont je croisai le chemin, certain du but que je m’étais assigné, et du grand dessein que j’avais au front.
Pourtant ! Comment arriver à te dire ce que je ressentis la première fois que nous nous sommes regardés ?
Nous avions le même âge, je l’appris par la suite, presque encore des adolescents, que la vie pressait de devenir adultes. Et, bousculé, par mes devoirs, ou ce que je prenais pour tels, par les obligations qu’on m’avait appris à m’imposer, l’impatience, devant ce qui était à construire, j’effaçais, avec une application bornée, ce que, depuis, j’ai appris, trop tard, à respecter : mon désir. Tu étais ce désir, qu’avec la sérénité de celui qui ne veut pas douter, j’étouffais.
Je t’avais rencontrée, parce que cela devait se faire, parce que la vie avait tracé les lignes, qui devaient nous amener, mon amour, l’un face à l’autre. Cela se fit de la manière la plus banale et la plus fortuite, comme, sans vous y préparer, elle sait si bien le faire…
Je crois que nous avons agi, toi et moi, de manière semblable, nous avons délibérément voulu et choisi de nous détourner de nous mêmes. Nous nous sommes niés. Nous nous sommes trahis.
Je ne changerai pas ton nom, ton beau nom…pour protéger qui ? Pour protéger quoi? Qu’est ce qui mériterait que je prenne tant de précautions, face au désastre qu’est ton absence….
Je ne te trahis plus… mais il est si tard.
Pardonne moi! Pardonne moi, s’il te plaît, comme je voudrais me pardonner. Pouvoir garder, encore, ton précieux souvenir… c’est tout ce qu’il me reste, c’est la seule chose que je puisse encore faire pour Toi, mon amour.
Je ne veux rêver à rien, je ne peux rêver à rien de ce qui aurait dû être, je veux te rappeler, chérie, je veux que ton cher souvenir, soit chair. Je veux te revoir dans l’ombre bleue des platanes, par cette claire matinée d’été, où entouré d’une smala, qui se voulait montrer bienveillante et gaie, de la vieille, aux plus jeunes, qui, depuis, tombant les masques, s’est avérée être une bande étrangère, mesquine et jalouse, je te vis t’avancer reine parmi les reines , avec la tranquille assurance que te donnait ta vraie beauté. Nous nous sommes regardés. Je t’ai reconnue.
Coup de foudre qui, jamais, ne dit son nom…
La vie nous tenait, te courbant sur tes obligations, comme elle me pliait sur les miennes, avec ses contrats tacites qu’il fallait honorer, ces devoirs qu’il fallait remplir, ces bonnes figures qu’il fallait faire! Comme on nous apprend mal!Comme nous étions tous deux trop sages et raisonnables… ! Nous n’avions pas eu le temps d’apprendre à nous désobéir.
Il s’en est fallu de peu…d’un peu de temps, de sagesse, pour accepter notre… folie? Dis moi…Où était elle, la sagesse? Où était la folie?
Avec tout ce temps, et ce qu’il a fait de nous… La comédie de la vie s’est bien chargée d’intervertir les rôles… Passez, muscade…!
J’essayais de te voir et recherchais les occasions de te rencontrer. Dans ces moments où tout devait passer par un autre langage, c’étaient le frôlement de nos regards, nos sourires, les propos qui se voulaient légers, les tentatives pour être drôle, séduire quand même…
Et puis, le bonheur, malgré tout, quand il me fallait partir, la mort dans l’âme, d’avoir pu te voir, avoir pu… à la sauvette… contempler ton visage, avoir vu le sourire dans tes beaux yeux— tes yeux, chérie… tes yeux de jade et d’or — avoir pu entendre ta voix, ton accent charmant… la rage d’ avoir eu si peu…Demain…demain, je reviendrai… demain.
Le manège tourna longtemps…
Et, il y eut ce matin de mars, où le Nord-Ouest abattit cette tempête, dont ici tout le monde se souvient, qui fit chuter, du jour au lendemain les températures de près de vingt degrés et se déchaîna sur nos Pyrénées.
Nos montagnes sont les premières en ligne, face aux vents marins et quand l’océan déclare la guerre au monde, autant il sait attiédir les matins de printemps, et apporter la douceur aux soirées d’octobre, autant il peut, avec la brutalité de ses colères imprévisibles, transformer notre coin de paradis en enfer.
Tôt ce matin là, le ciel se couvrit, par-dessus la montagne… rapidement, un couvercle de plomb, qu’éclairait le soleil levant d’une lumière irréelle, obscurcit le ciel. A une vitesse étonnante, la horde des nuages bascula par dessus le toit et avala la lumière d’Est …
Alors, ce fut un déchaînement titanesque, impressionnant, tel que j’en ai rarement vu.
Des éclairs striaient un ciel de nuit, alors que la grêle se déchaînait dans un vacarme assourdissant, le vent hurlait en rafales, fouettant les croisées, faisant claquer les volets, tordant les arbres… le grondement du tonnerre se répercutait en écho dans la vallée… C’était d’une beauté sublime!
Et je pensai, « goxoki »*, dans l’abri sûr de la maison ancestrale, au berger parti tôt ce matin visiter ses brebis, au randonneur, tout au plaisir de son effort, surpris par la terrible tempête… espérant qu’eux aussi aient pu trouver refuge et s’en protéger.
Puis il neigea. Toute la matinée et une partie de l’après-midi, calmement, avec une patience tranquille et appliquée.
Vers trois heures, la neige ne tombait plus, une déchirure se fit dans la grisaille…le bleu d’un ciel pur troua les nuages et mars « qui rit au milieu des averses » nous offrit une vue sur la montagne digne d’une carte postale. Lançant à l’assaut d’un ciel de cérulée, leurs pyramides d’un blanc éblouissant les crêtes se prenaient des allures himalayennes de Nanda-Devi.
Je sautai dans mes chaussures de rando , attrapai le trousseau de clés…
Trois quarts d’heure plus tard, j’étais sous le deuxième ressaut, juste avant la longue « bavante » qui amène au sommet.
J’avais fait la montée au pas de course, dans l’enthousiasme de baigner dans cette féerie…et je me rendais compte que la marche dans cette neige épaisse et humide était difficile, et que je commençais à être …un petit peu crevé…. Je m’arrêtai donc pour souffler.
C’est là que j’aperçus deux silhouettes, perdues dans tout ce blanc, qui redescendaient.
Curieux! J’étais pourtant bien sûr d’être le seul à être monté… Aucune trace ne me précédait. Je m’assis sur un rocher, duquel je dégageai la neige, enlevai mon pull, bus un bon schlouk à ma gourde et allumai une Gitane. J’étais bien…
Les deux silhouettes approchaient… la seconde, avec l’anorak rouge…C’était Toi.
L’anorak jaune, je ne le connaissais pas mais je sus de suite qui il était pour toi… Une belle beigne… toute en ralenti…
C’est toi qui parla la première :
— Oh! Bonjour…! Alors vous êtes monté , vous aussi…
Oui, Vous! Jamais nous ne nous sommes tutoyés, n’est ce pas, chérie…
Le Basque ne tutoie pas: le mari utilise le « Zu » de respect quand il s’adresse à son épouse l’« Etcheko Anderre », la maîtresse de maison, ainsi en va t-il pour les enfants à l’égard de leurs parents. Le tutoiement existe, le « to », qui n’ est utilisé que pour l’inférieur ou le mépris.
— Bonjour Mirenxu. Bonjour… Oui, c’était si beau, vu de chez moi… Je me suis dit qu’il fallait en profiter.
Le gars me tendit la main.
— Bixente! Je suis le fiancé de Mirenxu…
Bixente…! ! Comment je lui aurais baffé sa gueule de petit minet sportif avec un plaisir, au Bixente… ! Au lieu de quoi (faux-cul, comme vous et moi) je serrai sa main tendue, et me présentai avec un sourire.
Nous nous mîmes à blaguer un moment. Il parlait beaucoup, ce qui m’évitait d’avoir à trop le faire. C’est là qu’il m’apprit que vous étiez montés par Onetza , ce qui expliquait l’absence de traces sur le chemin de Lauariak, et que vous n’étiez pas montés jusqu’au sommet.
Toi, tu anapurnais .. le regard fixé sur les crêtes dont la contemplation semblait beaucoup t’absorber. Nous nous regardions parfois, à la dérobée… comme d’habitude.
— Tes yeux… tes yeux, chérie… je n’ai rien vu de plus beau…je n’en ai pas eu assez.—
C’est la dernière chose que je vis de toi quand, en partant, tu te retournas.
— Adio…!
— Adio!
Regard prolongé, sourire, petit geste de la main…
Adieu, ma Belle… tu disparus au coude du sentier.
Je restai un moment assis sur mon rocher, genre penseur de Rodin, mais, genre con. Très con… et le penseur avait la tête vide, vide dans lequel une petite voix de salope, dans un nuage rouge lui susurrait les pires vacheries, sur l’air du « bienfait pour ta gueule…! » et autre variantes.
Je quittai mon rocher, nouai mon pull autour de ma taille, et repris mon chemin, suivant leurs traces.
J’avais chaud, le soleil dardait ses rayons, m’aveuglant malgré mes lunettes de soleil, transformant la neige en une soupe qui trempait mes épaisses chaussettes de montagne, s’insinuait dans mes chaussures dont l’intérieur était maintenant trempé, lui aussi. J’avais les pieds gelés.
L’effort que je devais fournir pour gravir la pente, relativement faible mais dans laquelle chaque pas était pénible, était intense et je transpirais à grosses gouttes. Je n’avais pas pris mon bandeau d’éponge en partant, et la sueur qui me coulait du front me brûlait les yeux, j’ avais le souffle court … depuis que je m’étais remis en marche , rien n’allait…
— Depuis que tu t’es remis en marche? Non mais… t’arrêtes les berlures, un peu…? D’habitude, ces petites misères, tu n’y fais même pas attention…! C’est depuis que tu les a croisés, que t’en peux plus… T’étouffes, tu enrages, grand con ! —
— Oui… C’est vrai!… —Bien sûr,que c’est vrai!—
Je m’étais arrêté, le regard perdu sur la neige à mes pieds….la tête emplie du seul « Elle se marie…! ».
je restai ainsi un long moment.
Seul le couple de vautours qui tournaient là-haut, dut entendre le hurlement que je poussai.
Je redescendis.
Je te revis une fois sur la place, de loin, petit signe… « Adio! », la lumière de ton sourire…
A quelque temps de là, tu partis vivre là-bas, en ville. Je te perdis de vue.
Thomas m’apprit que tu t’étais mariée… Après tout, toi aussi, tu en avais le droit!
Du temps passa…Beaucoup.
Je ne veux pas rappeler la fois où j’eus de tes nouvelles par la même foldingue, nous avions alors divorcé depuis longtemps. Sa manière ignoble de parler de Toi, sa joie mauvaise, devant la détresse dans laquelle elle te savait te débattre, l’entendre s’en réjouir… elle me révolta. Je lui signifiai tout mon mépris, déclenchant une énième empoignade et une dernière représentation du Barnum « On dirait ta mère! »
Jamais, nous n’avons parlé d’amour, mon amour…maintenant que tout ce temps a passé je prends conscience de l’absurdité de ce fait. Tu es l’amour. Celui que je n’ai pas connu, abusé par les reflets de son odieux miroir aux alouettes, mécanique de clinquant et d’artifices, que je finis par fuir, allant chercher, dans les excès de la turpitude, des sensations et des ressentis toujours plus enivrants.
Toi, ma chérie, Tu étais, es et seras toujours autre …
Il y a dans notre non-histoire un aspect que j’ai souvent, recherché dans les choses qui font ma vie. Avec Toi, c’est si vrai que j’en reste émerveillé tout autant qu’ atterré…Je ne suis pas à l’aise avec le trop bien terminé, l’accompli trop achevé. Au point final, j’ai toujours préféré les points de suspension…—To be followed … a never ending love story…*—
Il ne peut y avoir de point final, mon amour, Tu es là, accomplissement ultime du non accompli, Tu es l’esquisse de mon rêve, celui qui ne veut ni ne peut s’achever. Celui que je ne veux, ni ne peux revendiquer, ni signer, à l’image de cette toile, que j’ai, presque, achevée… que je ne signerai, ni ne vendrai jamais…
Saint-Etienne de Baïgorry. Il y a longtemps.
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*Goxoki: Bien au chaud, confortable.
*To be followed… a never ending love story: A suivre… une histoire d’amour qui ne finira jamais
En Basque: l’X, se prononce: /ch/
Le u se pronoce: /ou/
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