Chapitre VII

Échec au Roi

Nous devions retrouver la Nonna à la sortie de Vérone, en début d’après- midi, qu’elle avait libre, ne commençant son service que vers dix-sept heures. Nous prîmes un car, à la gare routière de Milan, qui nous déposa dans le centre de la jolie petite ville, où nous n’eûmes même pas le temps, mon Adorée et moi, de nous embrasser sous le mythique petit balcon de la maison de Juliette, comme deux pimpins de touristes amoureux..

La Nonna arriva vers quinze heures, dans la voiture que le célèbre dessinateur nous avait envoyée, conduite par son chauffeur.

Une demie heure plus tard, nous étions à la grille du vaste domaine, qui entourait la demeure de l’artiste. Nous empruntâmes un chemin empierré, et arrivâmes face au vaste perron, où le talentueux dessinateur attendait ses créations…

C’était un grand et beau vieux homme, aux cheveux blancs, qui dégageait, cela frappait dès le premier regard, une impression de calme et de maîtrise tranquille de lui même, et de ce qui l’environnait. Il était vêtu d’un pantalon de velours, d’une chemise blanche, assortie d’un foulard, et portait un riche gilet de laine, dont la ceinture était nouée. Il accueillit chaleureusement, avec une émotion certaine, totalement maîtrisée, ses personnages, qu’il étreignit affectueusement, l’un après l’autre. Carla souriait, des larmes plein les yeux et je vis le joli menton de Claudia trembler d’émotion , même Faust était impressionné et se départit de son attitude désinvolte de petit frimeur, seule Honey, avec son joli sourire, ne paraissait pas sensible à l’émoi qui semblait étreindre, même, la hautaine Béatrice. Le maître des lieux, les fit entrer dans la luxueuse demeure, et entra à leur suite.

Il Maestro

Ainsi que j’en avais prévenu ma très belle maîtresse, je me mis en retrait et partis… Alors que je brûlais d’envie de les suivre, et de découvrir le saint des saints, où se créait tant de beauté et de merveille artistique, mais le respect que j’éprouvai pour le grand Monsieur, et pour mes chers compagnons, ainsi que pour l’importance de cet événement unique, me commandait de me retirer, et leur permettre de jouir de ce moment, sans qu’aucune ombre, ne puisse venir le ternir de quelque manière.

J’allai me promener, pour passer le temps, dans l’immense propriété de l’artiste. Près de ce qui ressemblait à une ferme, entourée de vignobles, j’aperçus de nombreux animaux, certains dans des enclos , d’autres en liberté.

Perché sur le toit, un grand corbeau me regardait.Tiens?… Doublement curieux! Je n’aurais jamais cru qu’il y avait de ces grands oiseaux jusqu’en Vénétie. Et, pensant qu’il ne me voyait pas, je m’approchai pour mieux l’observer. Il me salua en patois vénitien et vint se poser sur le puits où je m’étais assis. J’étais émerveillé.

— Toi aussi, tu parles… ?

—Ah, mais j’ai toujours parlé… C’est pour ça que j’ai eu le rôle dans « Uccellini, uccellacci », mais ça ne te dis sûrement rien…

—Le film de Pasolini, avec Toto ? C’est toi ?

— Tu connais? Bravo! Ah! Toto, le pauvre ! je l’aimais bien… Eh oui ! That’s me!

Lui aussi, était polyglotte.

—C’est extraordinaire ! Que je suis heureux de pouvoir te parler !

C’est à ce moment que j’entendis une voix de femme, derrière moi

— Je vous conseille de rester très prudent avec ces animaux là, Monsieur !

Je me retournai et vis une très belle femme blonde. Je reconnus immédiatement Tippi Hedren.

— Voilà, ça recommence ! A chaque fois qu’elle me voit, elle fait la gueule ! C’est dommage, Mademoiselle, parce que je vous trouve très belle !

Elle fit comme si elle n’avait pas entendu

—Ils peuvent être très dangereux… J’en ai fait la triste expérience ! Enfin, je vous aurai prévenu…

Elle retourna s’asseoir sur un banc, à côté d’un beau gars, en tenue de hussard, qui semblait s’ennuyer. Il se tourna vers moi et me lança :

—Je confirme… de vraies saloperies ! C’est par milliers que je les ai vus s’empiffrer de chair humaine…

—Faux ! Faux ! Archi-faux ! C’est de la calomnie ! Jamais, nous n’avons…

Le grand corbeau s’interrompit, voyant que je le fixai, un sourcil levé.

— Ou bien… Certains d’entre nous… peut-être… pour goûter…Mais…

— Pour goûter ! C’est cela, oui… ! Charognards!

Et d’une voix bougonne, d’ajouter:

— Voilà ! Encore une journée à me faire chier… Tout ça à cause de ces cons de couvreurs… ! Et il y en a encore pour quinze jours !

Il se leva.

— J’en ai marre, là… ! Je ne suis pas à ma place ! Il faut que je bouge… Je vais faire un tour. Tu m’accompagnes ?

— D’accord, mais dans un endroit où il n’y a pas d’oiseaux… Je ne les supporte pas.

Ils se levèrent et partirent. Négligemment, Angelo, c’était son nom, pelotait les jolies fesses de la belle blonde.

Le grand corbeau haussa les épaules, dépité.

Nous restâmes un grand moment à bavarder , et me faisant promettre de ne jamais en parler, il me raconta son expérience cinématographique. L’après -midi passa très vite.

Nous vîmes revenir le hussard et sa belle compagne, main dans la main, des fétus de paille plein les cheveux… Lui, avait l’air beaucoup plus détendu.

Le grand corbeau , les voyant, se mit à chantonner, sur l’air des lampions :

— Il est pointu, le toit de la gare !

Je me rendis compte qu’ il était triste.

Il soupira.

— Bien ! Il est temps que je prenne congé, ta copine sort de chez Milo ! Mon gars, ça a été un plaisir. Passe le bonjour à Angus. Ciao, Bello !

Il s’envola vers les vignobles, et j’entendis une voix de femme.

— Bon débarras !

Je me retournai, mais ne vis personne.

Le grand corbeau , devait, lui aussi, avoir un réseau de première car effectivement lorsque je parvins devant la vaste demeure de l’artiste , mes compagnons en étaient sortis et leurs adieux faits, se dirigeaient vers le parking où le chauffeur attendait.

Ils ne tarissaient pas d’éloges sur leur créateur, vantant son intelligence, sa bonté et sa chaleur. Il avait généreusement accordé son autorisation, et avait émancipé ses personnages, les encourageant, mais les mettant aussi en garde, contre les pièges et les dangers d’un monde, qu’il savait difficile. Il les avait conquis.

Honey pleurait, et ma belle Carla la consolait, la tenant dans ses bras, lui parlant à l’oreille.

Nous allâmes embrasser et remercier la Nonna, qui prenait son service. La vieille dame était ravie que tout se soit bien déroulé, et nous prîmes congé d’elle, la remerciant chaleureusement.

Une heure et demie plus tard, le chauffeur nous déposait à Milan.

Après de longues embrassades, et promesses de vite nous revoir, notre petit groupe se sépara, Faust et Claudia partant d’un côté, Béatrice et Honey repartant ensemble, main dans la main…non sans que Béatrice, gourmande, m’eut demandé, si j’avais le numéro de Simona, qu’elle « avait bêtement oublié de lui demander. »…Ma chère Zia l’avait , bien sûr, et je le communiquai à la belle perverse, ravie.

J’emmenai ma Carla adorée, dîner à la Casa Arlati, une jolie petite trattoria typique où a cuisine est succulente; inquiet de sa réponse, je lui posai la question de ce qu’elle comptait faire maintenant. La coquine me regardait par dessus son verre, prenant son temps…

—J’ai toujours eu envie de prendre quelques vacances à Paris. Tu m’emmènes ?

Je me saisis de sa main et l’embrassai avec passion.

Après un savoureux dîner, pendant lequel ma belle Carla se montra gaie et enjouée, nous rentrâmes à l’hôtel flânant le long du canal. Anticipant déjà, les délices de la longue nuit qui s’offrait à nous, je profitai de ce que ma Belle se délassait sous la douche, pour appeler la Stazione Centrale, et réserver nos billets pour le lendemain.

Je tombai sur une employée, à l’étrange voix de crécelle, qui m’indiqua que, pour nous, il n’y avait pas d’autre possibilité, que le train de nuit de ce soir. Je refusai, et lui demandai de bien vouloir regarder les offres pour le lendemain.

— Je regrette, cher Monsieur, il n’y aura rien. Est ce que je suis claire ? J’ai des ordres. C’est ce soir ou jamais !

J’ai des ordres…! Qu’est ce que cela pouvait bien signifier…?

— C’est une plaisanterie… ! Allons, ne me dites pas…

— Vous ne comprenez, décidément, rien à rien ! C’est le Milan-Lausanne de vingt deux heures trente ou rien ! Vous arrivez à intégrer, pauvre abruti ?

Elle raccrocha, avant que j’aie pu réagir.

Je pris l’Ass-Phone dans le sac de Carla et lançai une recherche. Étrangement, j’avais accès à tous les sites de réservation, mais n’obtenais aucun résultat. Pas un train, pas un avion, ni même un car … Je ne pouvais avoir accès à aucun moyen de transport.

Quand ma belle Carla sortit de la douche, séchant sa magnifique chevelure, je lui fis part de ce problème. Cela l’étonna, mais pour elle, il n’y avait aucun problème : nous n’avions qu’à prendre ce train…C’était, un peu notre train, non ?

Je souris : ma belle avait encore raison !

Je décrochai le téléphone, et composai le numéro de la gare. Une voix de féminine, chaude et sensuelle me répondit :

—Alors …! Je vois que vous avez changé d’avis… C’est parfait ! La réservation est faite, vos billets vous attendent au guichet 3, ou sur n’importe quelle borne électronique. Je vous souhaite un bon voyage, ainsi qu’une bonne nuit.

Je n’avais pas dit un mot. Étrange! Après tout… Pas plus que le reste !

Je téléphonai, à l’arrache au Zio, pour l’informer de notre départ précipité.

Après s’être enquis de l’heure de départ , il m’affirma qu’ils seraient tous à la gare pour nous souhaiter bon voyage . Je le remerciai et nous nous mîmes, Carla et moi, à nous préparer au départ. Ma belle, me semblait parfaitement heureuse de ce voyage et paraissait tout à fait détendue, ce qui me rassura , et calma, un peu, l’inquiétude qui me tenaillait, depuis cette décision de hâter notre départ.

Nous prîmes un taxi qui nous déposa devant la gare et une dizaine de minutes plus tard Zio, Zia , GianCarlo et Tania étaient là, les adieux furent brefs, le train partait dans les quinze minutes. Nous nous rendîmes à une borne électronique où ma belle Carla retira nos deux billets, puis, de là, au quai sept, où notre train était sur le point de partir. Nous montâmes à bord, le train était vide, il fut aisé d’y trouver nos places. J’aidai Carla à poser son sac de voyage dans le filet, et je l’embrassai. Lentement, les lumières de la gare se mirent à glisser le long de la fenêtre. Le train traversait la banlieue nord, et roulait à petite vitesse.

— Dire que c’est comme ça que nous nous sommes rencontrés.

— Oui, ma chérie! Je ne sais qui remercier …Toi…! Oui ! Toi, seule. Merci d’être ce que tu es :Toi… ! Tu es merveilleuse !… Et te voilà libre, maintenant… Ta quête est terminée… Quel type, quand même ! 

Oui ! Mon père est un grand Monsieur… Je suis fière, tu sais !

—Tu peux ! Moi aussi, je suis fier… de toi, ma Très Belle !

Je l’embrassai, étreint par une émotion indicible, et nous restâmes un long moment, à nous cajoler du bout des doigts, à nous caresser du bout des yeux…

Soudain, elle s’écria :

—Je te vois !! ! Je te vois ! Je vois tes yeux! Tes mains …

Elle avait saisi mon visage dans ses mains et me regardait, ses beaux yeux pleins de larmes.

— Oh ! je te vois, mon chéri…

— Quelle déception, hein ?

— Oh , que tu es bête… !

Elle se jeta dans mes bras et nous nous embrassâmes, nous nous embrassâmes encore et encore.

Une inquiétude, m’empoignait, alors que j’aurais dû en être heureux: Quelle était la raison de ce changement d’état ? Qu’est ce que cela signifiait… ? Je chassai ces idées sombres, je voulais être léger.

Je pensais que je n’avais même pas eu le temps d’emmener mon Adorée, au bord de la Scarlighett, rivière de mon enfance, courant limpide, dans son écrin de verdure, au nom étincelant de gouttes d’eau, de souvenirs et de lumière. Au retour…Je l’y emmènerais et nous nous y baignerions tous les deux…au retour !

Ma Divine Carla était là, sagement assise, face à moi, regardant distraitement la banlieue dérouler son film gris. Une fois de plus, je me perdais dans sa contemplation. Dieu, qu’elle était belle !

— Ma belle perverse, mon aimée, ma petite pute adorée, ma salope chérie , ma joie…laisse moi te dire que tout ce qui m’est venu de toi, tout ce que tu m’as donné, m’est une bénédiction … je t’aime, mon amour…Il faudra, au moins, que je devienne roi, pour espérer pouvoir t’apporter le royaume que tu mérites. Je t’aime, ma Reine…Schiavo* !

Elle riait, légère…

— Mon Roi, mon beau Roi !…, Tu vas me faire l’amour, comme la première fois …J’ai eu envie que tu me baises, ta Majesté !

Sa soif de vie, son appétit inextinguible, son désir dévorant, me subjuguaient. Une fois de plus, je tombai amoureux.

— Crois-tu qu’on serve au wagon restaurant, je n’ai vu personne dans ce train… !

—C’est vrai, on ne se bouscule pas ! Pourquoi demandes -tu cela ? As tu faim ?

— Non, j’avais seulement envie d’un café…

— Eh, bien ! Il n’y a qu’un moyen de le savoir : c’est d’y aller ! Café, ma Reine ?

—S’il te plaît,mon Roi.

Je déposai un baiser sur sa jolie bouche et sortis du compartiment, la laissant en tête à tête avec un de ces magazines au papier glacé, pleins de photos, qui ne vous mettront jamais les méninges en surchauffe.

Le train roulait toujours très lentement, et c’était étrange de déambuler seul, dans ce couloir désert, je me sentais gagné par une indéfinissable sensation de malaise… Je n’avais qu’une hâte, retrouver ma Carla.

J’arrivai au wagon-bar, désert lui aussi, pas une âme, pas un bruit. Je ne cherchai même pas à appeler, c’était inutile. Je m’apprêtais à repartir quand un cliquetis se fit entendre, provenant des distributeurs automatiques alignés près du bar. Je m’approchai. Avec son bruit creux caractéristique, un gobelet en plastique tomba dans son logement, un nouveau cliquetis, un voyant rouge qui clignote et la machine cracha un jet brun et mousseux… Je m’emparai du gobelet d’ersatz, au moins il sentait bon…!, et repartis vers le compartiment où m’attendait ma belle. Je remarquai que le train ne roulait plus, il était à l’arrêt, dans ce qui semblait être une gare désaffectée et enveloppée de brume.

En chemin, je pensai que c’était loin d’être une boisson royale que portais à ma Reine quand je sentis tous les poils de mon échine se hérisser : l’odeur, l’odieuse odeur était là ! L’Infâme était dans notre train ! Je hurlai « Carla !! » au moment où retentissait une sonnerie stridente, et me mis à courir vers notre compartiment.

Comme dans un cauchemar, je constatai que je n’avançai pas, mes mouvements se décomposaient en un ralenti désespérément lent…mon cœur dans ma poitrine s’affolait, shooté par un flot d’adrénaline qui me faisait panteler. Il fallait que j’arrive à Carla… Il fallait la prévenir…Il était là ! Et cette sonnerie … J’avais l’impression que ma poitrine allait éclater… Vite ! Vite ! Carla ! Ma Carla…! J’étais fou de rage et d’angoisse, le hurlement qui me montait dans la poitrine se transforma en borborygme grotesque…elle ne pourrait même pas m’entendre…cette sonnerie… ! L’odeur se précisait, devenait de plus en plus forte. Le bruit et l’odeur ! Infernal.

Enfin, j’atteignis notre compartiment, j’aperçus ma belle toujours plongée dans sa lecture. J’essayai de hurler pour l’alerter…rien à faire. Et toujours cette sonnerie assourdissante!

Je le vis.

Il était assis dans le compartiment, presque en face de Carla. Le visage tourné dans ma direction, il savait que j’arrivais, me fixant des deux trous noirs de son regard, impassible. Je m’essayai encore à hurler , c’est tout juste un filet de voix qui sortit de ma gorge, et que moi-même , j’entendis à peine. Carla, toujours absorbée par sa lecture, semblait ne même pas s’être aperçue de l’odieuse présence.

Il se leva, silhouette malingre et bancale, ma belle ne leva même pas la tête, il claudiqua jusqu’à la porte qu’il ouvrit. Sa voix caverneuse me fit frissonner.

— Je te l’avais bien dit qu’on se retrouverait, petit con !

Il avait grandi ! Je sentis la chair de poule me couvrir tout le corps.

Il fit un pas vers moi.

— Recule, amigo !

Cette sonnerie !

—Qu’est ce vous voulez ? Que voulez vous faire ?

Ma voix ! J’avais retrouvé ma voix !

—Ce que je veux…?

Il éclata d’un rire sardonique de comédie.

— Comment oses-tu petit rien! Ce que je veux ne te regarde pas…Oserais-tu croire que j’ai des comptes à te rendre? !

Il avançait, il avait grandi encore, il était maintenant aussi grand que moi. Il me semblait que la sonnerie était plus forte ,encore.

—Par contre ce que je, vais faire…Ça je peux t’en parler…Je vais baiser ta pute.

— Enculé !

Dans un geste de rage, je lui balançai le gobelet de café au visage. Il se figea comme frappé de stupeur, et lentement s’essuya du dos de la main me fixant de son regard vide, tous ses traits frémissant de fureur. Il me dépassait d’une tête.

— Petit salaud ! Du lyophilisé ! Tu n’as, vraiment, aucun savoir-vivre…C’est même pas du vrai café !

Non, mais, j’hallucine, là !… C’est la première fois qu’on ose : de l’instantané… !! je suis bleu! Ah ! Toi, tu m’auras tout fait, hein ? Mais tu sais dans quel bled on est, là ? Tu le sais ? En Italie ! On est en Italie ! Et à quoi j’ai droit :… du Nescafé ! Monsieur me balance un Nescafé !! Rien que pour ça tu mérites d’être châtié !! Du lyophilisé !!! Porca miseria!

Je hurlai :

— Carla ! Carla chérie… Va t’en !! Il est là … ! Barre toi… ! Vite !

— Carla … ma chérie ! Gnagnagna… !

Prenant une voix niaise, il se foutait de ma gueule ! Je lui balançai un grand coup de savate dans les nonnèques. J’eus l’impression d’avoir shooté dans un mur.

—Même pas mal !

Il avançait toujours…Immense.

— Inutile de t’égosiller : elle ne t’entendra pas !

La sonnerie continuait à me vriller les tympans.

Il avait fini par me faire reculer, mort de trouille, anéanti d’angoisse pour ma Carla, jusqu’à la plate-forme d’entrée du wagon. A ce moment, une grande belle femme en tenue de soirée, sortit des toilettes et me regarda. Elle m’adressa un magnifique sourire, et, de la voix sensuelle et chaude de la standardiste de la gare centrale :

—Ciao, bello ! Bien du plaisir !

J’entendis, derrière moi, la portière s’ouvrir avec un claquement métallique et d’un geste négligent, la créature me poussa. Je basculai en arrière et tombai durement sur le quai, alors que retentissait le sinistre rire imbécile de l’Ignoble.

La sonnerie retentissait toujours, assourdissante.

Je tentai de me relever. Carla ! Ma Carla…! Environné de brumes, de fumées, de vapeurs, j’étais cloué au quai, incapable du moindre mouvement. Emporté dans un tourbillon de panique, des larmes d’impuissance me montaient aux yeux…Carla ! Au secours… ! Quelqu’un !

La portière claqua, se refermant et, lentement, dans un cauchemar, je vis le train s’ébranler. Je hurlai à m’arracher la gorge, sanglotant, le nom de ma belle, seul le vacarme de la sonnerie et le fracas du train prenant de la vitesse me répondirent.

Je clignai des yeux dans la lumière grise d’un petit jour sale, la sonnerie du réveil me raclant le cerveau, j’étais dans mon lit…je me rendis compte que des larmes coulaient sur mes joues et mes tempes…Dans un hurlement, j’empoignai le réveil et l’explosai sur le mur d’en face. et retombai sur le lit rance… dans un silence assourdissant.

Carla… ! Ma Carla !

Tout n’était que ruines.

Les yeux grands ouverts sur le désastre, j’étais secoué de sanglots.

L’ombre portée de la rambarde, au plafond, semblaient les barreaux d’une prison.

Le vrai cauchemar venait de commencer.


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